Le licenciement pour insuffisance professionnelle d'un agent pris en charge par le CNFPT

Publication d'un article dans la Revue Lexbase Hedo, Edition publique n°392 du 5 novembre 2015

Commentaire de l'arrêt du Conseil d'Etat du 14 octobre 2015, Req. n°380780 Mentionné aux Tables du Recueil Lebon.

 

Dans un arrêt rendu le 14 octobre 2015, le Conseil d'Etat a considéré qu'un centre de gestion peut licencier pour insuffisance professionnelle un agent pris en charge, à condition que l'agent se trouve placé dans une situation de travail permettant une évaluation de ses capacités professionnelles par le centre de gestion, comme par exemple, une mission qui lui aurait été confiée par cet organisme ; a défaut, le licenciement peut intervenir que dans les conditions de l'article 97.III de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L7448AGX), à savoir en cas de refus par l'agent de trois offres d'emploi. Il confirme ainsi la solution retenue par la cour administrative d'appel de PARIS, dans cette même affaire (1), tout en affinant la solution dégagée par les juges d'appel, ces derniers ayant estimé que la procédure pour licenciement pour insuffisance professionnelle était exclue et que le manquement de l'agent aux obligations qui lui incombent pouvait uniquement être sanctionné par les dispositions de l'article 97 précité. 

On rappellera que le Centre national de la fonction publique territoriale et les centres de gestion prennent en charge les fonctionnaires qui font face à un "incident de carrière", à savoir ceux qui n'ont pas pu être reclassés dans leur collectivité d'origine, dans un emploi correspondant à leur grade dans leur cadre d'emploi, ou avec leur accord dans un autre cadre d'emploi, même après avoir été maintenu en surnombre pendant un an :

- après la fin de leur détachement sur un emploi fonctionnel (loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, art. 53) ;
- après la fin d'un détachement de longue durée (loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, art. 67) ;
- après une période de mise hors cadre (loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, art. 70) ;
- après une mise en disponibilité d'office pour raisons médicales ou accordée pour raisons familiales (loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, art. 72) ;
- ou en cas de suppression de leur emploi (loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, art. 97).

Pour mémoire, depuis la loi n° 2007-209 du 19 février 2007, relative à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L4509HUK), le CNFPT est compétent pour prendre en charge les administrateurs territoriaux, les conservateurs territoriaux du patrimoine, les conservateurs territoriaux de bibliothèque et les ingénieurs territoriaux en chef ; les centres de gestion prennent en charge l'ensemble des autres fonctionnaires.

Pendant la période de prise en charge, l'agent est placé sous l'autorité du CNFPT ou du centre de gestion, "lesquels exercent à son égard toutes les prérogatives reconnues à l'autorité investie du pouvoir de nomination" (loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, art. 97.I). Le centre peut lui confier des missions, y compris dans le cadre d'une mise à disposition et lui propose tout emploi vacant correspondant à son grade.

Pendant la période de prise en charge, le fonctionnaire est tenu de suivre toutes les actions d'orientation, de formation et d'évaluation destinées à favoriser son reclassement. Il a l'obligation de faire état tous les six mois à l'autorité de gestion de sa recherche active d'emploi, en communiquant en particulier les candidatures auxquelles il a postulé ou auxquelles il s'est présenté spontanément et les attestations d'entretien en vue d'un recrutement. A défaut, il peut être placé en disponibilité d'office ou, le cas échéant, admis à la retraite (loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, art. 97.II).

Après trois refus d'offre d'emploi correspondant à son grade, à temps complet ou à temps non complet selon la nature de l'emploi d'origine, le fonctionnaire est licencié ou, lorsqu'il peut bénéficier de la jouissance immédiate de ses droits à pension, admis à faire valoir ses droits à la retraite (loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, art. 97.III).

La question se posait de savoir si un centre de gestion pouvait licencier pour insuffisance professionnelle un agent pris en charge.

Le Conseil d'Etat y a répondu par l'affirmative, à condition que le CNFPT ou le centre de gestion puisse évaluer la capacité professionnelle de l'agent.

Les faits de l'espèce étaient les suivants.

M. X est attaché principal territorial depuis 1984 et chargé de la gestion des affaires économiques d'une commune. A la suite de la suppression de son emploi, il a été radié des cadres de la commune à compter du 1er avril 1990 et pris en charge à partir de cette date par le CNFPT.

Par un arrêté du 9 décembre 2009 du président du CNFPT, la prise en charge de cet agent a été transférée au centre interdépartemental de gestion de la petite couronne de la Région Ile-de-France, à compter du 1er janvier 2010, en application de la loi du 19 février 2007 précitée.

Par deux arrêtés du 23 et 24 décembre 2009, le président du CNFPT a respectivement prononcé le licenciement de l'agent pour insuffisance professionnelle à compter du 31 décembre 2009 et retiré l'arrêté du 9 décembre 2009.

Le CNFPT invoquait, pour justifier son licenciement, son "incapacité professionnelle" et son "inaptitude relationnelle tenant à son incapacité à prouver son niveau d'employabilité de cadre territorial à des employeurs potentiels et à mettre en oeuvre un véritable projet professionnel lui permettant de retrouver un emploi de cadre territorial correspondant à son grade" (2).

Or, l'agent en cause n'exerçait pas d'activité professionnelle, faute d'avoir retrouvé un emploi. Il ne se trouvait donc pas dans une situation de travail permettant d'évaluer ses capacités professionnelles, mais dans une situation de recherche d'emploi.

L'agent a déféré ces deux décisions à la censure du juge administratif. Le tribunal administratif de Paris ayant rejeté sa demande (3), l'agent a ensuite interjeté appel contre ce jugement.

La cour administrative d'appel de Paris a annulé le licenciement pour insuffisance professionnelle, au motif que l'agent "ne se trouvait pas dans une situation de travail permettant d'évaluer ses capacités professionnelles, mais dans celle d'une recherche d'emploi ; que le manquement aux obligations qui lui incombaient dans cette situation ne pouvait être sanctionné que par les mesures prévues par les dispositions précitées de l'article 97 de la loi du 26 janvier 1984, relatives à la 'perte d'emploi', soit le licenciement de l'intéressé lorsqu'il a refusé trois offres d'emploi correspondant à son grade, ou son placement en disponibilité d'office lorsqu'il n'a pas respecté le suivi d'actions d'orientation, de formation ou d'évaluation destinées à favoriser son reclassement ou n'a pas justifié auprès de l'autorité de gestion d'initiatives attestant de la recherche active d'un emploi ; que le CNFPT ne pouvait donc, comme il l'a fait, licencier l'intéressé pour insuffisance professionnelle sur le fondement de l'article 93 de la loi du 26 janvier 1984, relatif à la cessation de fonctions".

Le Conseil d'Etat a confirmé l'annulation du licenciement pour insuffisance professionnelle et rejeté le pourvoi du CNFPT, en nuançant la solution retenue par les juges d'appel. Il a ainsi considéré que, "si le CNFPT peut prononcer le licenciement d'un fonctionnaire territorial qu'il prend en charge, pour insuffisance professionnelle sur le fondement de l'article 93 de la loi du 26 janvier 1984, c'est à la condition que ce fonctionnaire se trouve placé, pendant sa période de prise en charge, dans une situation de travail permettant une évaluation de ses capacités professionnelles par le CNFPT ; que, par suite, en jugeant que les manquements aux obligations qui incombaient à M. B., dont il n'est pas soutenu qu'il se trouvé placé au cours de sa prise en charge par le CNFPT, dans une situation de travail résultant d'une mission qui lui aurait été confiée par cet organisme, ne pouvait donner lieu à une mesure de licenciement que dans le cas prévu au III. de l'article 97 de la loi du 26 janvier 1984".

Autrement dit, le Conseil d'Etat a consacré le principe selon lequel un centre de gestion peut licencier pour insuffisance professionnelle un agent pris en charge, sur le fondement de l'article 93 de la loi du 26 janvier 1984. Il faut néanmoins que l'agent se trouve placé dans une situation de travail permettant une évaluation de ses capacités professionnelles par le centre de gestion, comme par exemple, une mission qui lui aurait été confiée par cet organisme.

A défaut, le licenciement peut intervenir que dans les conditions de l'article 97 de la loi du 26 janvier 1984, à savoir en cas de refus par l'agent de trois offres d'emploi.

En l'espèce, l'agent en cause n'ayant pas été chargé d'une mission par le CNFPT, ce dernier n'avait pas été à même d'évaluer les capacités professionnelles de l'agent et ne pouvait donc procéder à son licenciement pour insuffisance professionnelle sur le fondement de l'article 93 de la loi du 26 janvier 1984.

La possibilité pour un centre de gestion de licencier un agent pour insuffisance professionnelle n'allait pas d'évidence. En effet, un agent pris en charge et exerçant une mission confiée par le centre de gestion n'est pas dans la même situation qu'un agent exerçant son emploi dans sa collectivité d'origine. Il est plus difficile d'évaluer la compétence professionnelle d'un agent dans le cadre d'une mission temporaire que dans un emploi pour lequel il existe une fiche de poste et qui s'inscrit, par définition, dans la durée.

Il reste dès lors à voir si l'ouverture offerte par le Conseil d'Etat sera appliquée par les centres de gestion à l'avenir.


(1) CAA Paris, 1ère ch., 3 avril 2014, n° 12PA05098 (N° Lexbase : A0382MPT).
(2) Idem.
(3) TA Paris, 31 octobre 2012, n° 1002431.